Quelle tête de mule !
Rien de ce que je dirai ne l'empêchera de se rendre à son rendez-vous.
Je la suis du regard pendant qu'elle pénètre sur le chantier.
Puis, je pousse un profond soupir.
J'ai une grand-mère en détresse à sauver
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La vieille se contorsionne toujours bizarrement, les yeux injectés de foudre.
Des hommes et des femmes forment un cercle autour d'elle et semble accompagner sa sarabande d'une joyeuse farandole.
Les premières gouttes d'une pluie glacée me chatouille le visage.
Rapidement, elle se met à tomber en grains serrés...
Et alors que le soleil rayonnait quelques minutes auparavant...
Ce sont maintenant des éclairs qui illuminent la nue sombre et gonflée.
Quelques uns abandonnent la ronde et courent se mettre à l'abri.
Mais six irréductibles continuent de monter la garde autour de la dame en détresse.
En détresse, me direz-vous ?
Cet étrange sabbat a plutôt l'air de l'amuser et s'il y a quelqu'un à craindre, ce serait elle avec ses yeux luisants, bien plus que la bande de mécontents qui la tient en otage.
Soudain, des cris d'effroi retentissent en contre-bas.
La foudre frappe le chantier et les ouvriers s'enfuient à tire-d'aile comme des poules effarouchées vers le bâtiment en construction pour s'y réfugier.
Alors, je réalise :
pas de matraques, pas de casseurs dans cette attaque du chantier,
mais une puissante tempête qui balayera tout sur son passage...
Et alors que je crois le pire arrivé...
La vieille se tourne vers le ciel et envoie une roche ignescente qui disparait dans les nuées.
Des sueurs froides remontent en frisson le long de mon échine.
Je sens que ça va barder...
Et ma sirène, que dis-je ?
Mon fric ! Ma gloire ! Ma postérité !
qui se trouve toujours sur le chantier...
Pas le temps de réfléchir.
J'aperçois une bombe volcanique qui fend l'air et menace de s'abattre sur le bâtiment en construction.
Tant pis pour la grand-mère !
Je dois sauver mes rêves avant !
Sans même prendre la délicate attention de me remercier, ma sirène saute pour aller sauver le gros plein de soupe.
Je reste seul sur la plateforme, épouvanté.
Au milieu de l'orage, de la pluie et des éclairs qui se jettent de toutes parts,
des bombes de magma trouent la nue et s'abattent en boulet de canon sur le chantier.
Le ciel menace de nous tomber sur la tête, littéralement.
Il faut qu'on se mette à l'abri dans le bâtiment en construction.
Plus une seconde à perdre !
Je m'empresse d'aider ma sirène à sortir son énorme victime de l'eau.
Le courant est important.
J'ai beau être tout-puissant sur la terre ferme avec ma force vampirique, je suis aussi à l'aise dans l'onde tumultueuse qu'un têtard dans une tornade.
Je me sens aspirer vers les profondeurs de l'océan.
Je ne peux rien faire pour lutter.
Une angoisse empoigne ma poitrine.
Est-ce qu'un vampire peut mourir noyer ?
Jamais je n'ai pensé que je pourrai disparaître ainsi,
si jeune, si facilement, à même pas la moitié de mon existence,
moi le grand Raven Black à qui l'éternité souriait...
Je ne sais pas si je respire en tant que vampire, mais le manque d'air m'engourdit l'esprit.
Je me sens défaillir...
De l'oxygène pénètre soudain ma bouche et gonfle mes poumons.
Je m'éveille à la douce chaleur d'un baiser.
Ma sirène pressent ses lèvres sur les miennes.
Elle insuffle en moi des petites bulles de vie qui pénètrent dans mon corps, s'instillent dans mes veines et raffermissent mes muscles hypoxiques.
Ma sirène s'écarte.
Trop vite, trop tôt !
Je la saisis.
Ma bouche va chercher la sienne pour aspirer encore un peu de ce souffle magique.
L'ardeur se propage autour de moi, et l'onde s'attiédit.
Je me perds un instant dans un océan de volupté.
À suivre... 😜